Par Patrick Roegiers

« La galerie des mineurs », Rencontres Internationales de la Photographie Arles 1994

 « Fils d’agriculteur, né en 1962,à Albi, dans le Tarn, Dominique Delpoux s’est réellement intéressé à la photographie dans les années 1988 pour la relation fascinante qu’elle entretient avec le passage du temps. Impressionné d’abord par William Klein, puis par le réalisme d’August Sander, de Walker Evans et de Diane Arbus, il se sent proche du mouvement de la “nouvelle objectivité” qu’il veut doter toutefois d’une dimension plus humaine; bien décidé à vivre son métier et informé de la vie photographique à Paris, lors de son apprentissage à l’école le CRÉAR où il suit des cours de 1990 à 1992 il entreprend un travail sur les anciens mineurs de Carmaux et des environs, où il vit. Abordant ses modèles sur les marchés, dans les cafés, il décide de les photographier, non pas en studio comme le ferait un portraitiste professionnel, mais en couple et chez eux, dans leur salle de séjour ou leur salon, vitrine du foyer, où s’exposent les objets familiers qu’il s’interdit de déplacer tout comme il s’impose de ne pas dicter leur maintien aux modèles. Vêtus comme ils le souhaitent, selon l’image qu’ils veulent donner d’eux, les couples se disposent à leur gré devant l’appareil posé sur pied qu’ils affrontent sans résistance, en toute confiance, et qui enregistre leur présence dans une attitude qui est naturellement la leur.

Sans indiscrétion ni voyeurisme, avec une proximité distante et une intense pudeur, Dominique Delpoux entérine l’identité physique de ces personnes anonymes, retirées de la vie active mais non de la société, qui incarnent la mémoire d’une activité révolue et qui affirment pudiquement leur tendresse, garante de l’indissociabilité du couple après le départ des enfants. Décodant dans le décor quotidien, souvent modeste, un alphabet de signes, l’opérateur observe la disposition des corps immobiles dans l’espace, qui se tiennent par la main s’attouchent ou se serrant les coudes, face à l’objectif, dans la conscience commune d’une union à nouveau saisie sur la pellicule pour la première fois depuis leur mariage. Tablant sur cette donnée émouvante et considérant leur image comme le résultat de toute une vie, Dominique Delpoux arrête le temps, mais le fait aussi revivre, dans cette galerie de portraits cérémonieux, réalisés avec une acuité touchante, en harmonie avec le cadre de vie, sans arbitraire ni manipulation.

L’unité chromatique de cette série de 45 tirages, au format approprié, teinte d’une mélancolique douceur ces vues humbles et directes, à la fois sincères et honnêtes, d’une évidente simplicité -ce qui n’est pas une mince qualité- que complètent une trentaine de paysages montrant les rues et les maisons de Carmaux, toutes identiques et en même temps différentes pour chacun.Dominique Delpoux revendique la dimension ethnologique et sociologique de sa conception du portrait, reflet de l’intériorité, non exempte de psychologie, qui restitue avec justesse et probité leur dignité et leur similitude à des hommes et des femmes rendus à la couleur du soleil après une existence souvent pénible gagnée dans l’ombre des ténèbres. »